LA MOUVANCE CONSTRUITE *Essai de définition
L'utilisation de l'expression "Mouvance Construite" a imposé à son créateur la nécessité de faire le point.
Pour ce faire, il parait important de décrire les limites du sujet et, d'emblée, il peut apparaītre comme un paradoxe de vouloir trouver une limite à ce que l'on a nommé une mouvance, c'est à dire une chose en mouvement, essentiellement fluctuante.
Il faut donc tenter d'expliquer en premier la signification de l'expression "mouvance construite" : c'est en fait une commodité de langage destinée à englober en une formule ramassée une diversité et un foisonnement d'aventures, successives ou contemporaines, relatives à une partie de l'histoire de l'art.
Cette partie de l'histoire de l'art est elle-même une partie de l'histoire de l'abstraction. Celle-ci est née au début du siècle, en même temps à Munich, avec Kandinsky, à Moscou, avec Larionov, a Paris, avec Delaunay, Picabia, Kupka ...
L'abstraction en peinture, et en sculpture, a pris diverses voies, celles qui nous concernent ont porté des noms divers : "le suprématisme", "le néo-plasticisme", "le constructivisme", "l'abstraction froide", "l'art concret", "le minimal art" et même "l'art conceptuel", cette liste est, bien sūr, loin d'être exhaustive. Se sont trouvés concernés, dans cette perspective aussi, des mouvements variés tels que "Blok, en Pologne, "De Stijl", aux Pays-Bas, "Cercle et Carré", "Abstraction-Création" en France, etc ..., la liste n'est pas complète non plus, tant s'en faut.
C'est cette variété d'aventures, unies par une familiarité à expliquer, qui constitue la mouvance construite ; ce à quoi elle se réfère couvre quasiment la totalité du 20ème siècle.
En effet, depuis quasiment le début de celui-ci existe une expression artistique plastique fondée sur une mise en oeuvre de surfaces ou de volumes libérés de toute évocation et de toute suggestion d'image anecdotique, la forme régulée y a sa place dans la pureté et dans l'intensité, à ceci se joint l'économie des moyens et la simplicité des structures.
Ce qui précède est la très sommaire description matérielle des éléments d'une convergence envisagée le plus largement.
Cette convergence unit en une familiarité de fait des mouvements et des hommes que séparent et opposent même, parfois, les nuances affirmées de leurs singularités.
C'est pour ne privilégier aucune de ses singularités, et en fait pour affirmer la diversité et la richesse de ces constructeurs, de ceux qui composent et réfutent la pratique bavarde de l'art, qu'a été choisie l'expression "mouvance construite", elle témoigne et de l'appartenance d'individus singuliers et de l'activité elle-même, toujours patiemment développée et toujours en évolution, elle qualifie une pratique désormais indiscutablement historique, mais aussi indéniablement actuelle, d'une verdeur qui se montre toujours au fil de l'actualité.
N'avoir évoqué qu'au plan de sa matérialité convergente une aventure artistique ne fonde que fort peu celle-ci, si un constat d'accord peut s'établir sur ce à quoi ressemble les oeuvres de la mouvance construite, un fondement plus fort est à exprimer au delà du seul formalisme.
Tracer des cercles et des carrés n'a, en soi, pas de sens ; ce n'est qu'intégré à une réflexion spirituelle que se crée un langage et que s'impose une nécessité. Détourné de la matérialité anecdotique pour se vouer au plus radical des réalismes, celui qui a choisi comme sujet la structure et l'analyse de celle-ci fait porter son effort sur des valeurs que le temps n'atteint pas.
C'est dans ce fait qu'il faut trouver la raison de la pérennité de l'art d'esprit construit, ainsi que dans la constatation, apparemment simpliste, que construire est toujours construire demain.
Au delà donc de la pesante matérialité, la mouvance construite s'ouvre donc vers l'infini de l'esprit et du coeur, tant dans la gratuité et la joie - qui sont les pendants de l'utile -, que dans la rigueur et la ferveur qu'implique le fait de s'adonner au langage le plus simple et le plus clair, celui où il se vérifie que la droite est le plus court chemin vers l'infini et la courbe le plus sūr moyen d'étreindre l'univers.
Pour ces raisons, sommairement exposées, la mouvance construite peut affronter la durée, en dépit des éphémères caprices de la mode, avatars de la loi du marché. Certes la mouvance construite dure en ce sens que les oeuvres originelles qui l'ont fondée existent toujours, mais aussi elle dure en ce sens que jamais ne s'est tari le souffle des acteurs. Ceux-ci ont renouvelé, remodelé sans cesse le propos et, sans doute parce qu'il est le plus fondamental, le sujet s'est montré, par les oeuvres qu'il générait, le plus vivant.
Cependant, la mouvance construite n'a pas été de façon permanente à l'avant-scène de l'activité artistique, il s'en faut de beaucoup, et, si sa pérennité parait assurée pour les raisons évoquées plus haut, son importance circonstancielle a connu des hauts et des bas, alternance de faveur et de désintérêt, qu'il faudra évoquer avant d'en venir aux constatations qui permettent d'évoquer aujourd'hui un renouveau.
Les activités humaines s'inscrivent d'une façon générale dans un cadre économique, l'activité artistique ne dément pas cette assertion en tant que l'art s'inscrit dans un marché qui, pour se perpétuer, engendre des nouveaux flux de marchandises qui sont autant d'offres nouvelles pour créer des demandes nouvelles, c'est en se sens qu'il était dit plus haut que les caprices de la mode sont les avatars de la loi du marché.
Ceci est une composante, elle n'est pas exclusive, le mouvement même des idées, les replis et les abandons ont leur place dans cette réflexion. Il faut bien considérer que la mouvance construite a indéniablement forgé le langage plastique de la civilisation où nous vivons aujourd'hui, il faut voir le mobilier, le design, l'architecture, la typographie, la publicité, l'habillement ... - c'est indéniable. Dans cette mesure, les retours à la figuration, ou à ce que Jo Delahaut nommait "des demi-mesures, peintures gestuelles, tachistes ou instinctives", tels qu'on les a connus vers 1926, en 1932, en 1960 et au début des années 80, même s'ils fournissent parfois d'estimables apports, n'apparaissent que comme le signe de temps de repli ou de fatigue, de renoncement ou de facilité, où la séduction parfois réelle ne peut, sur la distance, tenir lieu de conviction.
Etablir des concordances entre les dates évoquées ci-dessus et les événements de l'histoire ne serait pas sans enseignement, mais cet essai de définition veut se centrer sur l'état actuel et les perspectives de la mouvance construite.
Partout des individualités s'investissent profondément dans la poursuite d'une recherche dont résultent des oeuvres passionnantes et variées, témoignant tant de la force injectée déjà par les illustres devanciers que du renouveau qu'un sang neuf amène.
Comme dresser un catalogue d'oeuvres nouvelles, catalogue forcément arbitraire, limité et incomplet, ne suffirait pas, il faut mettre en avant la spécificité de nouvelles attitudes qui se développent ainsi que des événements révélateurs récents tels que la naissance de revues, revues consacrées à l'art d'esprit construit, et l'organisation de vastes rencontres pluridisciplinaires partout en Europe où plasticiens et scientifiques, sociologues et philosophes, proposent à la réflexion du public les perspectives et les attitudes qu'offrent, et impliquent, tant les nouvelles technologies que la nécessité de repenser les espaces urbains.
Enfin, c'est aussi, et surtout, de l'exercice de la liberté, s'opposant au chaos pour stimuler l'ordre à venir fondé sur la connaissance et la logique, ce en vue d'un approfondissement et d'un enrichissement spirituel de l'homme, que proviendra le meilleur de ce qu'apportera le nouvel élan acquis.
La mouvance construite, dans ce vaste cadre, paraītra être au nombre de ces actuels laboratoires d'idées où se bâtit déjà l'humanisme internationaliste culturel par lequel l'homme du XXIème siècle échappera à la quotidienneté de l'inéluctable.
Jean-Pierre MAURY